Les autres dimensions musicales de RAMZI
Traduit de l'anglais par Patrick Baillargeon
La musique de Ramzi est un portail vers une autre dimension, pas si différente de la nôtre mais, en quelque sorte, plus merveilleuse et plus sauvage. Telle est la force imaginative de la montréalaise Phoebé Guillemot, basée à Vancouver, lorsqu'elle crée ses paysages sonores hypnotiques, aux teintes dancehall et bardés d'échantillons, sous le pseudonyme Ramzi.
Il est remarquablement facile de se perdre à travers ce miroir phonique, où les oiseaux et les insectes – tout comme les zombies et les corps étrangers – s'ébattent dans une jungle luxuriante sur des rythmes dub, alors que la voix de Ramzi se propage au milieu de tout cela. «Je pourrais définir ma musique comme étant une musique «environnementale» dans la mesure où j'aime plonger les gens dans un autre monde, dans le monde de Ramzi. C'est un monde parallèle qui évolue et que je définis toujours un peu plus. C'est à coup sûr tropical et psychédélique mais je veux rester libre de créer d'autres atmosphères».
Cet univers particulier a émergé au sein de la musique et Ramzi l'a tout simplement étendu: «c'était un peu inattendu, mais Ramzi est devenue un peu comme un alter ego, mon subconscient, mon intuition ou mon enfant intérieur qui n'est ni un garçon, ni une fille», explique Guillemot. En même temps, ce monde est aussi celui qu'en font les auditeurs et n'a pas besoin d'être expliqué par des mots: «il m'aide à composer de la musique et constitue une sorte de récit, mais je ne veux pas le rendre trop évident, je veux juste qu'il soit ressenti par le biais de la musique».
Dezombi, le premier album de Ramzi (parut en format cassette), fut le début des excursions de Guillemot dans l'univers de Ramzi. L'artiste s'est ainsi retrouvée au sein de l'étiquette montréalaise Los Discos Enfantasmes en compagnie de toute une gamme d'expérimentateurs électroniques souterrains (Le Fruit Vert, Les Momies de Palerme, k.a.n.t.n.a.g.a.n.o.) en 2013, pour ensuite faire paraître un 12" titré Etwal Timoun (sur lequel figure “Monsters Makeup” et le vif synthé roucoulant de Bataille Solaire). L'album auto-produit Bébites de 2014, sorti sur Pygmy Animals, le label de Guillemot, étend les grooves et approfondit les beats, ajoute des instruments exotiques, des voix trafiquées et une cacophonie de cris d'animaux.
«Pour moi, ça fait du bien d'entendre des sons de la nature à travers la musique et cela donne au champs musical une autre dimension», précise l'artiste, ajoutant que l'avantage de la musique électronique «est que vous pouvez mélanger tout ce que vous voulez et créer votre propre environnement. Il y a beaucoup d'enregistrements d'oiseaux que j'ai passé à travers un tas d'effets bizarres et il y a aussi l'aspect loufoque d'avoir plusieurs voix en interaction, différentes voix du monde animal essayant d'attirer l'attention, comme s'ils se battaient pour avoir leur bref instant dans la musique».
La voix humaine est aussi présente, souvent occultée dans le mix, faisant partie de cette grande conversation. «Les voix que j'utilise sont des exagérations de voix féminines et masculines; j'utilise des tons légèrement plus hauts et plus bas et crée un dialogue entre elles, mais cela va vraiment au-delà des registres vocaux féminin et masculin. Parfois, ils sont tous les deux seuls au monde, essayant de survivre et de s'entraider, ou alors ils se battent. C'est une relation en évolution qui provient de la dualité psychique que l'on retrouve dans le subconscient, comme le fait d'entendre deux voix rationnelles dans sa tête. J'introduis cette division de soi dans la musique». Dans ses sets live, Ramzi improvise avec sa voix, sans planifier ce qu'elle va chanter et confondant volontairement les langues dans un mélange de français, d'anglais, de créole et de mots inventés. «Parfois je peux juste marmonner les mots parce que c'est plus l'intention dans la voix qui compte –les gens peuvent saisir ce que je dis puisque cela est basé davantage sur l'aspect musical de la voix que sur le sens des mots».
Productrice électronique autodidacte avec l'esprit créatif d'un artiste et d'un musicien, Guillemot obtient ses échantillons de musiques du monde, de dancehall et de dub obscurs en toute bonne foi. «Je n'ai jamais décidé de faire de la musique tropicale; ma musique provient tout simplement de mon attirance pour ces sons», précise-t-elle. «Cela dit, je suis très inspirée par un grand nombre de musiques du monde, particulièrement ces enregistrements lo-fi chaleureux et obscurs. C'est la musique avec laquelle j'ai grandi, celle de mon enfance. J'aime bien partager des souvenirs d'enfance, et peut-être pouvons nous atteindre cet inconscient collectif de cette manière. J'aime aussi la musique électronique qui vient d'une région spécifique, qui est vraiment influencée par la culture et les traditions d'un pays mais qui se traduit par une nouvelle expression musicale. J'essaie toujours de trouver ce genre de nouvelle musique».
Guillemot n'a jamais essayé d'imiter la musique qu'elle aime mais a plutôt tenté d'explorer ces sons à travers l'interprétation, comme un moyen de tisser un environnement et d'y exprimer ses propres sentiments et expériences. «J'ai vu la musique électronique comme un moyen de faire de la musique lo-fi et hi-fi en même temps et d'y créer l'ambiance chaleureuse que je recherche. Je ne cherche pas à définir le genre musical que je fais ou ferai; j'aime toutes sortes de musiques et je me concentre sur les éléments qui me parlent vraiment. Certains disent que c'est un collage de musiques mais je le vois plutôt comme une véritable création. Je ne me suis jamais posé ces questions quand j'ai commencé à faire de la musique de cette façon, mais maintenant je suis beaucoup plus consciente de l'appropriation culturelle et je sais qu'il y a une limite. Je voudrais que la musique que je produis ressemble à mon propre monde, ma propre interprétation de celui-ci, avec de nombreux éléments».
«Je donne beaucoup de sens à des moments importants dans ma vie et tente d'en tirer des chansons, accumulants des couches de moments précieux et essayant d'en faire un genre de musique «réelle», poursuit-elle. «En même temps, je représente Ramzi, j'essaye de ne pas être trop Phoebé parce que c'est plus une échappatoire musicale pour moi, car c'est davantage basé sur une expérience collective que sur l'ego».
Le label de cassettes 1080p de Vancouver lancera le nouvel album de Ramzi, Houti Kush, en juillet 2015.